3°) la non-relecture.
C'est à cause de cette simultanéité écriture/vie que s'ébauche dans Nadja le principe de la non-relecture. (Même si Breton corrigera des tournures syntaxiques des années plus tard, en 1962). "si je relisais cette histoire, de l'oeil patient et en quelques sorte désintéressé que je serais sûr d'avoir, je ne sais guère, pour être fidèle à mon sentiment présent de moi-même, ce que j'en laisserais subsister. Je ne tiens pas à le savoir." (p172) Parce que c'est le Breton d'août 1927 qui a écrit et que le Breton de décembre 1927 n'a pas à le corriger et ne s'intéresse d'ailleurs même plus à cette histoire (ce qui l'intéresse désormais, c'est Suzanne). De même qu'un blogueur ne va pas corriger un vieux post, ça n'aurait pas de sens. Ce qui l'intéresse c'est le présent, sa Suzanne à lui.
Et donc : "je laisse à l'état d'ébauche ce paysage mental" (p179)
La non-relecture n'est donc pas une simple paresse. Elle est indissociable de la volonté de fixer le présent. La seule relecture que s'autorise beaucoup de blogueurs consistent à relire de vieux posts non pas pour les corriger mais pour les commenter. En arrière-fond, cette attitude présuppose que l'individu évolue sans cesse en une succession de "moi" qui s'abolirait les uns après les autres. La seule continuité existante devient alors précisément le blog qui représente cette succession (un peu ce qu'elle dit ICI). Exactement l'inverse d'une autobiographie qui recrée les évènements a posteriori.
La référence au "moi" n'est pas innocente. Nadja, comme nombre de blogs, tend vers une quête identitaire. Exprimer sa subjectivité, c'est forcément l'interroger, chercher ce qui différencie chacun des autres. "Par-delà toutes sortes de goûts que je me connais, d'affinités que je me sens, d'attirances que je subis, d'évènements qui m'arrivent et n'arrivent qu'à moi, par-delà quantité de mouvements que je me vois faire, d'émotions que je suis seul à éprouver, je m'efforce, par rapport aux autres hommes, de savoir en quoi consiste, sinon à quoi tient, ma différenciation. N'est-ce pas dans la mesure exacte où je prendrai conscience de cette différenciation que je me révélerai ce qu'entres tous les autres je suis venu faire en ce monde." (p11)
4°) le mélange des genres.
Nadja est le paysage mental de Breton en 1927 parce qu'il y suit le fil de sa pensée du moment ce qui implique forcément un mélange des genres (surtout dans la première partie). On y trouve donc tout et rien (en apparence sans cohérence, d'où beaucoup de blancs typographiques pour marquer que l'auteur passe à autre chose, un découpage qui rappelle celui des posts. Evidemment, le texte trouve sa cohérence dans son auteur.) Anecdotes, réflexions personnelles, souvenirs, se mêlent sans plan d'ensemble pré-établi.
Anecdote : "Il n'y a que quelques jours, Louis Aragon me faisait observer que l'enseigne d'un hôtel..." (p64)
Les prises de position personnelles (et le défoulement) : "Je sais que si j'étais fou, et depuis quelques jours interné, je profiterais d'une rémission que me laisserait mon délire pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberait sous la main. J'y gagnerais au moins de rendre place, comme les agités, dans un compartiment seul. On me ficherait peut-être la paix." (p166,167)
Ce fil de la pensée implique aussi un style polymorphe. Même si pour un lecteur actuel, le style de Breton relève plutôt d'un registre soutenu, il s'agit avant tout de retranscrire le plus fidèlement possible le vécu. Donc pas de descriptions romanesques mais des détails précis. D'où l'emploi de :
- phrases nominales ("Cinq cents francs." p107)
- formules lapidaires ("9 octobre. - Nadja a téléphoné en mon absence." p109)
- des phrases interrompues par "etc" ou "..."
- la multiplication des parenthèses - notamment pour commenter.
- l'emploi des italiques pour insister.
- l'utilisation des capitales "la beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas."
La différence fondamentale c'est que chez Breton cette écriture est l'expression d'une démarche théorisée, réfléchie, consciente - au point d'en faire un manifeste. Parce que la vie se présente comme un cryptogramme à déchiffrer, parce que Breton se meut dans une forêt de signes. Ainsi, la rencontre Nadja lui apparaît finalement comme une anticipation de son amour pour Suzanne.
C'est à cause de cette simultanéité écriture/vie que s'ébauche dans Nadja le principe de la non-relecture. (Même si Breton corrigera des tournures syntaxiques des années plus tard, en 1962). "si je relisais cette histoire, de l'oeil patient et en quelques sorte désintéressé que je serais sûr d'avoir, je ne sais guère, pour être fidèle à mon sentiment présent de moi-même, ce que j'en laisserais subsister. Je ne tiens pas à le savoir." (p172) Parce que c'est le Breton d'août 1927 qui a écrit et que le Breton de décembre 1927 n'a pas à le corriger et ne s'intéresse d'ailleurs même plus à cette histoire (ce qui l'intéresse désormais, c'est Suzanne). De même qu'un blogueur ne va pas corriger un vieux post, ça n'aurait pas de sens. Ce qui l'intéresse c'est le présent, sa Suzanne à lui.
Et donc : "je laisse à l'état d'ébauche ce paysage mental" (p179)
La non-relecture n'est donc pas une simple paresse. Elle est indissociable de la volonté de fixer le présent. La seule relecture que s'autorise beaucoup de blogueurs consistent à relire de vieux posts non pas pour les corriger mais pour les commenter. En arrière-fond, cette attitude présuppose que l'individu évolue sans cesse en une succession de "moi" qui s'abolirait les uns après les autres. La seule continuité existante devient alors précisément le blog qui représente cette succession (un peu ce qu'elle dit ICI). Exactement l'inverse d'une autobiographie qui recrée les évènements a posteriori.
La référence au "moi" n'est pas innocente. Nadja, comme nombre de blogs, tend vers une quête identitaire. Exprimer sa subjectivité, c'est forcément l'interroger, chercher ce qui différencie chacun des autres. "Par-delà toutes sortes de goûts que je me connais, d'affinités que je me sens, d'attirances que je subis, d'évènements qui m'arrivent et n'arrivent qu'à moi, par-delà quantité de mouvements que je me vois faire, d'émotions que je suis seul à éprouver, je m'efforce, par rapport aux autres hommes, de savoir en quoi consiste, sinon à quoi tient, ma différenciation. N'est-ce pas dans la mesure exacte où je prendrai conscience de cette différenciation que je me révélerai ce qu'entres tous les autres je suis venu faire en ce monde." (p11)
4°) le mélange des genres.
Nadja est le paysage mental de Breton en 1927 parce qu'il y suit le fil de sa pensée du moment ce qui implique forcément un mélange des genres (surtout dans la première partie). On y trouve donc tout et rien (en apparence sans cohérence, d'où beaucoup de blancs typographiques pour marquer que l'auteur passe à autre chose, un découpage qui rappelle celui des posts. Evidemment, le texte trouve sa cohérence dans son auteur.) Anecdotes, réflexions personnelles, souvenirs, se mêlent sans plan d'ensemble pré-établi.
Anecdote : "Il n'y a que quelques jours, Louis Aragon me faisait observer que l'enseigne d'un hôtel..." (p64)
Les prises de position personnelles (et le défoulement) : "Je sais que si j'étais fou, et depuis quelques jours interné, je profiterais d'une rémission que me laisserait mon délire pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberait sous la main. J'y gagnerais au moins de rendre place, comme les agités, dans un compartiment seul. On me ficherait peut-être la paix." (p166,167)
Ce fil de la pensée implique aussi un style polymorphe. Même si pour un lecteur actuel, le style de Breton relève plutôt d'un registre soutenu, il s'agit avant tout de retranscrire le plus fidèlement possible le vécu. Donc pas de descriptions romanesques mais des détails précis. D'où l'emploi de :
- phrases nominales ("Cinq cents francs." p107)
- formules lapidaires ("9 octobre. - Nadja a téléphoné en mon absence." p109)
- des phrases interrompues par "etc" ou "..."
- la multiplication des parenthèses - notamment pour commenter.
- l'emploi des italiques pour insister.
- l'utilisation des capitales "la beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas."
La différence fondamentale c'est que chez Breton cette écriture est l'expression d'une démarche théorisée, réfléchie, consciente - au point d'en faire un manifeste. Parce que la vie se présente comme un cryptogramme à déchiffrer, parce que Breton se meut dans une forêt de signes. Ainsi, la rencontre Nadja lui apparaît finalement comme une anticipation de son amour pour Suzanne.
11 commentaires:
Je dis d'accord, je dis bravo, je dis même carrément über super dans le texte.
Mais après tous ces propos intelligents, à ton avis, qu'est ce qui pousse Rihanna à se remettre avec Chris Brown?
Et rapport au point 3 : la première phrase de Nadja est "Qui suis-je ?".
Ton blog déchire sa race (pour continuer dans un style bretonien - deux n à bretonnien ?).
Deux fois merci parce que c'était quand même über casse-gueule comme post. (combien de lecteurs j'ai bien pu perdre ?)
Je dirais bretonnien (mais sans aucune certitude).
Rihanna souffre évidemment du symptôme de toutes les femmes battues. Il m'aime, c'était un accident, il était très énervé, ça n'arrivera plus. Elle a pas dû assez regarder Ca se discute.
C'est clair que Brown est fou amoureux de Rihanna, ça ce voit au premier coup d'oeil, je pense même que c'est la femme de sa vie! Il doit s'en vouloir ce con, à mon avis il doit avoir un bon ulcère, là tout de suite!!! :D
A quand un blog en écriture automatique ? cependant, il y avait dans le manifeste surréaliste une dimension de l'imaginaire, il définissait d'ailleurs la surréalité comme le point de fuite entre le réel et l'imaginaire. Dimension que l'on retrouve pas trop dans Nadja, enfin, il me semble. Pareil, dans le manifeste, Breton préconise de faire expression à son inconscient, vu comme un moyen de libération. Chose que l'on retrouve pas forcément dans Nadja. Perso, je pense qu'avec Nadja, Breton a un peu remis en cause tout sa théorie surréaliste.
Pour en revenir, à ton post, un double bravo, tu as peut être perdu quelques lecteurs, mais tu en as surement gagné de nombreux ;-)
Je suis assez d'accord, mais une chose m'étonne c'est que tu ne parles pas du coté 'fini' du livre contre le coté 'never ending' du blog.
Il est d'ailleurs intéressant de voir pourquoi certains blogs s'arrêtent, il y a quelques années une étude avait était effectuer sur pourquoi les sites perso n'étaient plus mis à jour, la première raison était que les webmasters s'était mis en couple, donc moins de temps à y consacrer...
merci regis pour cette superbe idée de blog en ecriture automatique. :)
Mais comment tu fais ? Je suis bluffé moi
Elle a ce don!:)
Combien de lecteurs aiment à se perdre ainsi entre les signes et les styles différents qui ne composent (construisent que leur auteure)...
En tout cas quelle mise en abîme si l'on y réfléchit(!) un temps soit peu...
Et quelle confiance en l'avenir chez la susdite auteure pour qui, finalement, le décryptage d'un amour passé et son "après" n'est qu'une "anticipation" de l'amour futur...
En tout cas Titiou, quel brio !
Tu ne peux imaginer à quel point je regrette ces discussions au Reflet, à regarder le monde (et nos vies) à travers des grilles de lecture que nous offraient nos illustres prédécesseurs...
et, conséquemment, à quel point je regrette de n'avoir pu être l'un de tes heureux condisciples !
Encore bravo !
Celui qui connait le métier...
Ouais, ben j'ai emprunté Nadja dans une bibli, et j'ai beau avoir cliqué partout, y a aucun lien qui marche. C'est pourri le surréalisme....
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