dimanche 8 février 2009

Maupassant et la vierge

Je me plaignais de notre méconnaissance du sexe dans les années 80, de notre quête sans fin du porno. Mais au moins, on savait à peu près ce qu'on cherchait. Ou en tout cas, on savait qu'il y avait quelque chose qu'on nous cachait. Un siècle auparavant, nos homologues féminines étaient nettement moins bien loties.
Non seulement on ne parlait pas de sexe aux jeunes filles mais pire, elles ne savaient même pas que ça existait. Elles pressentaient vaguement qu'il y avait quelque chose qui leur échappait mais de là à imaginer ce que c'était... Leur ignorance durait jusqu'au mariage, jusqu'à la nuit de noces et là... autant dire que le choc était violent et assez proche du traumatisme à vie. A ce tire, le roman de Maupassant Une Vie est fort instructif. Et atrocement déprimant.
Jeanne est une pure jeune fille qui, la veille de son mariage, se paye LA grande explication paternelle sur ce qui va se passer :



Autant dire qu'après, nunuche est pas très avancée. A part se douter qu'il va se passer un truc affreux contre lequel elle ne devra rien dire.
Arrive la nuit de noce - à laquelle elle ne comprend toujours rien mais qui ne se passe pas exactement comme l'idéal romantique qu'elle imaginait (= s'endormir avec son mari en se répétant "amour toujours")



Et le résultat c'est une sexualité conjugale catastrophique :



Ca ressemble à peu près à la sexualité telle que ma grand-mère pouvait la raconter - donc au XXème siècle. Manque juste le détail qui tue, bien qu'il soit implicitement évoqué dans l'extrait : leur putain de saloperie de chemise de nuit trouée. Je ne sais pas si on vous a déjà parlé de ça, si vos grand-mères ont évoqué cet objet symbole de toutes les frustrations. A l'époque du triomphe d'une forme de puritanisme bourgeois (révolution industrielle etc), les femmes qui baisaient nues, c'était les prostituées. Les bonnes mères de famille, elles, ne quittaient pas leur chemise de nuit, qu'on trouait donc pour un accès facilité à leur moule sacrée. (Du coup, on comprend mieux le temps passé par les maris au bordel.) C'est cette même chemise de nuit qu'on étendait parfois au balcon de la chambre, le lendemain de la nuit de noce, pour que tout le village puisse constater la pureté de la mariée et qu'elle était bien passée à la casserole.
Evidemment, la question du plaisir féminin ne se posait pas mais même pour les hommes l'affaire ne devait pas être très festive. On poussait alors à l'extrême la dichotomie de la maman et la putain. Quand je vois comment on en bouffe encore de cette connerie, combien de fois elle vient compliquer et pourrir les relations amoureuses du XXIème siècle...

14 commentaires:

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Arno Fresh a dit…

Une bien belle histoire pour de belles soirées au coin du feu.

titiou lecoq a dit…

Alors là, un grand merci Arno pour t'être dévoué pour laisser un commentaire.

Anonyme a dit…

Intéressant. Mais je me demande comment ces chères têtes blondes ont pu échapper à la curiosité sexuelle naturelle. M'enfin, c'est que ça vous travaille, ces choses-là! Ah oui, j'oubliais: c'est un homme qui a écrit.
Je me rappelle toutefois un certain dégoût mêlé à ma curiosité lorsque j'ai découvert pour la première fois le sexe velu de mon amoureux... ça paraissait un peu incongru. Mais après on s'y fait :)

titiou lecoq a dit…

@Canelle : Effectivement, certaines n'y ont évidemment pas échappé. Par contre, l'emprise de la religion, l'état d'esprit de l'époque étaient, à mon avis, capable d'étouffer les pulsions des autres.
Ca semble difficilement imaginable et pourtant... L'éducation des femmes les poussaient à sublimer leurs pulsions sexuelles dans des rêveries romantiques. (d'ailleurs, d'après une enquête de l'année dernière, une majorité des Français et des Françaises considèrent encore que la sexualité féminine est naturellement plus liée au sentiments que la sexualité masculine.)
Par contre, il ne faut pas incriminer Maupassant sur un extrait (c'est un peu ma faute sûrement). Dans la suite du roman, la sexualité de Jeanne devient de plus en plus active.

Anonyme a dit…

le bouquin est un hymne à la déprime et au renoncement
cet extrait est parlant

Anonyme a dit…

Pffff, encore un mail de feministe revancharde façon Elle.

Lulu

PS : Désolé, j'étais obligé.

PPS : Par contre, ce blog est vachement bien !!

Arno Fresh a dit…

Sexe et religion : on y est encore de toute façon non ?

Anonyme a dit…

Un mois après…
http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/2009/03/les-grisettes-a.html


Gaël Martin

Unknown a dit…

Je n'y crois qu'a moitié. Certes le silence est de mise à l'époque, et les rapports mari et femmes n'étaient guère joyeux. Mais les femmes, les jeunes-femmes, ressentent elles aussi le désir, et il n'est nul besoin de leur expliquer comment ça marche pour qu'elles s'adonnent à la masturbation, par exemple. Le premier flirt, les ENVIES naturelles, humaines, dont ces femmes sont QUAND-MÊME dotées ont du pointer le bout de leur nez. Avec les hormones, pas besoin de mode d'emploi hein...

titiou lecoq a dit…

Je pensais comme toi mais en définitive, c'est occulter l'état d'esprit de l'époque, le règne d'une religiosité particulièrement étouffante dans la bourgeoisie de l'époque. Evidemment, des jeunes filles savaient suivre leurs pulsions et envies naturelles mais ce n'était pas le cas de toutes. Mais pas toutes. D'autres avaient parfaitement intégré le principe du refoulement de l'animalité.

maho a dit…

pour reprendre le commentaire précédent, c'est sur que ce genre d'"éducation" a existé. C'est sur que beaucoup de femmes, voire d'hommes, en ont souffert (et en souffrent encore, je ne pense pas que l'éducation sexuelle wahabbite soit épatante).

Mais il ne faut pas oublier que Une Vie est, au départ, une caricature de la jeune fille romantique (ce qui mêne la femme à sa perte). Maupassant lui-même a décrit bien d'autres types de femmes, allant de la paysanne qui se fait faire des "éfants" sans le savoir à la courtisane libertine,en pleine possession de sa sexualité. Je ne me lance pas dans une analyse historique, mais j'en reste à Maupassant, Flaubert et Zola, que je connais assez bien.

Bref, en très très très gros, celles qui ne doivent pas avoir de plaisir (jeunes filles mais aussi jeunes gens morts de peur), celles qui décident de le prendre envers et contre tout (en général mûres et riches, ou perverses genre Nana, vu que la croyance aux caractères et aux types, prémices de la génétiques, sont très importants surtout chez Zola...), et celles qui ne savent pas ce que c'est et puis il y a les vaches à traire, alors bon.

Reste qu'il faut arriver à voir les cas particuliers. Les manuels d'éducation pour les couples faisaient qu'en général un homme et une femme mariés (faut pas déconner non plus) pouvaient avoir à leur portée des infos poussées sur le sujet. Tous les livres de "bonne entente du ménage" abordaient la question du sexe comme un élément important de la vie du couple, en termes choisis mais en termes quand même.

(j'ai d'ailleurs été presque renversée de ma chaise en lisant un bouquin pour jeunes mariés publié en 1946, étonamment bien plus féministe que pas mal d'Eric Zemmour de barrière, insistant pendant plusieurs chapitres sur le plaisir partagé au lit, le respect des fantasmes de l'autre... pour l'homme comme pour la femme. Ledit bouquin était initialement la propriété d'un curé qui devait le donner comme saine lecture à celles et ceux qui convolaient en justes noces)

titiou lecoq a dit…

Très juste maho. Tu as tout à fait raison de préciser ça. De mon côté, j'ai essayé de garder à l'esprit que c'était la description d'une certaine classe sociale, d'un milieu bien précis mais effectivement sans penser aux autres livres ou nouvelles de Maupassant décrivant d'autres réalités.
Merci pour ce chouette commentaire!

Unknown a dit…

Dans un de ces romans, Benoîte Groult décrit peu ou prou la même expérience... Je ne saurais que trop conseiller ses livres ! ^^